“Papys braqueurs”, fuite rocambolesque… Le récit minute par minute du braquage de Kim Kardashian

C’est un procès hors-normes, attendu de longue date, qui s’ouvre ce lundi 28 avril. Dix personnes sont jugées aux assises de Paris pendant quatre semaines, accusées d’avoir participé de près ou de loin au braquage de la milliardaire américaine Kim Kardashian, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2016.
Sur les dix accusés, seuls deux reconnaissent leur participation dans ce dossier. Quatre personnes se sont constituées parties civiles, dont l’influenceuse, qui a confirmé sa venue, et le veilleur de nuit de l’hôtel, Abderrahmane Ouatiki.
La “femme d’un célèbre rappeur”
2h34, le 3 octobre 2016. Des hommes cagoulés s’apprêtent à débarquer dans le hall du “No Adress”, un hôtel particulier situé au 7 rue Tronchet, dans le 8ème arrondissement de Paris.
Comme son nom le laisse deviner, l’établissement se veut très confidentiel… Si confidentiel que, pour préserver l’intimité de ses hôtes, les caméras de surveillance sont désactivées. Pourtant, un groupe de braqueurs a reçu une information qui vaut son pesant d’or: la “femme d’un célèbre rappeur” y réside pour quelques jours, et l’on dit que ses bijoux pourraient rapporter gros.
Nés pour la plupart dans les années 1950 et très peu familiers des réseaux sociaux, ces “papys braqueurs”, comme les appellera Patricia Tourancheau dans son livre (Kim et les papys braqueurs, publié au Seuil), ignorent à peu près tout de leur cible. Kim Kardashian, c’est pourtant l’influenceuse aux 132 millions d’abonnés sur Instagram à l’époque. Bien loin d’une inconnue pleine aux as à qui ils imaginent sans doute avoir affaire.
Une adresse confidentielle et de faux policiers
Ce soir-là, comme tous les soirs depuis six ans, Abderrahmane Ouatiki a pris son service à 21 heures. Cet étudiant algérien a obtenu un titre de séjour pour étudier la sémiologie en France et travaille en parallèle comme réceptionniste au “No Adress”. Toute la semaine, il enchaîne donc les journées à plancher sur sa thèse et les veilles de nuit au 7 rue Tronchet, pour mettre de l’argent de côté.
2h35 du matin. Il comprend que la nuit s’annonce plus mouvementée qu’à l’accoutumée lorsqu’il voit un groupe d’hommes cagoulés et portant des vestes floquées de l’inscription “Police” se présenter à la porte de l’hôtel. Il leur ouvre et se retrouve immédiatement braqué par un homme muni d’une arme de poing qui l’oblige à s’agenouiller et à baisser la tête.
Ni une ni deux, les faux policiers le menottent et le pressent de leur indiquer où se trouve “la femme du rappeur”. Face à leur insistance, il finit par leur donner le numéro de la chambre. L’homme qui le menace avec une arme, que le réceptionniste décrira auprès des policiers comme étant “le gentil” de la bande, trouve la clé de la chambre de Kim Kardashian et le force à l’accompagner, ainsi qu’un autre homme, qu’il surnommera “le petit nerveux”.
Les trois hommes prennent l’ascenseur, montent au premier et avancent jusqu’à la porte de la fameuse chambre.
Quelques heures plus tôt, Kim Kardashian, qui est venue passer quelques jours à Paris à l’occasion de la Fashion Week, a décidé de rentrer à son hôtel après un dîner avec des amis. Elle laisse derrière elle sa soeur Kourtney et son garde du corps, Pascal Duvier, qui poursuivent la soirée dans une boîte de nuit près de l’Arc de Triomphe.
De retour dans sa chambre, elle profite d’être seule pour travailler. Mais des bruits dans le couloir viennent perturber le calme dans lequel l’hôtel est plongé. Elle se dirige vers la porte, demande qui est là.
“La ring! La ring!”
A 2h56 précises, n’obtenant pas de réponse, Kim Kardashian appelle son garde du corps. Trop tard: au même moment, trois hommes déboulent dans sa chambre. Parmi eux, elle reconnaît seulement le gardien de l’hôtel, menotté.
Les deux autres sont cagoulés. L’un d’eux braque une arme sur le veilleur de nuit. L’autre lui arrache son téléphone portable des mains et lui demande où se trouve sa bague. Problème: elle ne comprend pas un traître mot de ce que ce Français raconte. “La ring! La ring!” (“La bague! La bague!”), finissent par lui lancer les malfaiteurs, avec un fort accent. Elle feint d’abord de ne pas savoir où elle est, avant de leur pointer du doigt la table de chevet, sous la menace.
Les braqueurs ont été bien rancardés: à l’endroit désigné par l’influenceuse, ils découvrent une bague en diamants de 18,8 carats, d’une valeur de 4 millions de dollars, soit 3,5 millions d’euros. Cette “ring”, l’influenceuse l’a plusieurs fois exhibée sur ses réseaux sociaux depuis que son mari, Kanye West, la lui a offerte.
Après avoir raflé non seulement la bague, mais aussi un coffret à bijoux Louis Vuitton, un porte-monnaie et deux téléphones (un butin qui s’élève à 9 millions d’euros), ils s’empressent de ligoter Kim Kardashian à l’aide de liens en plastique de type Serflex et de scotch. Ils la traînent jusque dans la salle de bain.
Cette dernière racontera aux enquêteurs avoir trouvé que les braqueurs lui semblaient novices dans la manière dont ils l’ont attachée. Abderrahmane Ouatiki exprimera le même sentiment, déclarant avoir pensé qu’ils n’étaient pas des professionnels en constatant qu’ils étaient désorganisés. Plus tard encore, interrogé par les enquêteurs, l’un des braqueurs, Yunice Abbas, reconnaîtra que ses comparses et lui ont agi à la manière “d’apprentis” et qu’ils ont connu de nombreux moments de “flottements”.
Les braqueurs quittent les lieux à 3h08. De son côté, enfin seule, la milliardaire parvient à se défaire de ses liens et se réfugie dans la chambre de sa styliste pour appeler sa soeur. Quant au veilleur de nuit, avant de prendre la tangente en courant, les malfaiteurs ont pris le temps de lui attacher les pieds et de l’enfermer dans le local incendie.
Lorsque Pascal Duvier, le garde du corps, arrive enfin à l’hôtel, alerté par l’étrange appel de son employeuse, il est déjà trop tard: les braqueurs viennent tout juste de partir. Vers 3h15, il demande au chauffeur de l’influenceuse de contacter la police et de leur signaler le vol à main armée.
Une fuite… à pied et à vélo
Au moment où la police intervient pour effectuer les premiers prélèvements et constatations, et recueillir les témoignages des victimes et des témoins, les braqueurs s’éloignent tant bien que mal de l’hôtel particulier. Sur les cinq individus, deux ont pris la fuite à pied dès 3h07.
Les trois autres ont pour projet de rejoindre à vélo une voiture stationnée plus loin, rue de l’Arcade. Seuls deux d’entre eux y parviennent, à 3h10. Le troisième, qui transporte le butin dans un sac accroché au guidon, se laisse peu à peu distancer: sa roue arrière a crevé, et la bretelle du sac se prend dans la roue avant. Il tombe et dans sa chute, les bijoux s’étalent sur le trottoir à 3h12. Il les ramasse puis termine sa course à pied en traînant son vélo. Arrivé au niveau de la gare Saint-Lazare, il l’abandonne et finit par prendre un taxi à 3h32 qui le ramène à le Gare du Nord. Là, il récupère sa voiture et rentre chez lui.
Mais dans sa précipitation, il a laissé derrière lui, sur le trottoir, un pendentif en diamants. C’est une passante qui, en allant travailler le lendemain matin, tombera sur le collier. Finissant par faire le lien avec le braquage, elle le déposera au commissariat en fin de journée.
Après cette nuit agitée, les braqueurs rentrent chez eux. Ce n’est que le lendemain, en allumant leur télévision, qu’ils apprendront l’identité de celle à qui ils ont décidé de s’en prendre. Le mal est fait: les médias du monde entier parlent du braquage de Kim Kardashian.
Dix personnes jugées
C’est en retrouvant de l’ADN sur l’un des liens Serflex retrouvés dans la chambre d’hôtel de la victime que les enquêteurs parviennent à identifier un premier braqueur. Il s’agit d’Aomar Aït Khedache, surnommé “Omar le Vieux”. Né en 1956 et déjà condamné par le passé notamment pour trafic de stupéfiants, ce dernier vit depuis plusieurs années sous une fausse identité et gagne sa vie en allant de petit boulot en petit boulot.
C’est autour de lui que se concentrent les investigations. Les enquêteurs le soupçonnent d’être le cerveau de l’opération et, plusieurs mois durant, vont tenter de retrouver quelles personnes dans son entourage sont également impliquées, notamment en le plaçant sur écoute.
Le 9 janvier 2017, trois mois après les faits, 17 personnes sont interpellées en région parisienne, mais aussi dans le Gard et les Alpes-Maritimes. Il faudra attendre encore presque cinq ans pour que 12 personnes soient finalement renvoyées devant les assises, soupçonnées d’avoir participé au braquage ou d’en être complices. Les bijoux, eux, auraient été vendus à Anvers en Belgique et n’ont jamais été retrouvés.
Au procès qui s’ouvre ce lundi, seuls neuf hommes et une femme comparaîtront, l’un des accusés étant mort depuis et un autre ayant été jugé inapte à comparaître en raison de son état de santé.
Sur ces dix personnes, deux seulement reconnaissent leur participation au braquage: Aomar Aït Khedache, qui a avoué être monté dans la chambre de Kim Kardashian, et Yunice Abbas, qui a confirmé avoir joué le rôle du guetteur. Ce dernier a par ailleurs raconté l’affaire de son point de vue dans un livre intitulé J’ai séquestré Kim Kardashian, paru aux éditions de l’Archipel en 2020.
Le procès doit se tenir à Paris jusqu’au 23 mai.
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